« L’état d’urgence fait des dégâts humains »

Dans un essai nourri de témoignages, HASSINA MECHAÏ et SIHEM ZINE

livrent une enquête sur un état d’exception qui génère des injustices sans parvenir à combattre le terrorisme.

Par  Hugo Boursier Politis

L’État d’urgence (permanent), Hassina Mechaï et Sihem Zine, Éd. MeltingBook.

C’est un livre éclairant qu’ont écrit Hassina Mechaï et Sihem Zine, sur les injustices causées par l’état d’urgence et les dangers contenus dans la loi antiterroriste qui

l’a suivi.La journaliste et la présidente de l’association Action droits des musulmans (ADM), qui lutte depuis 2016 contre le racisme antimusulman et accompagne les victimes de l’état d’urgence, ont recueilli vingt-cinq témoignages de victimes de perquisitions ou d’assignations à résidence abusives et les ont enrichis d’analyses factuelles sur l’inefficacité des mesures de cet état d’exception. Elles plongent dans un moment qui, du 13 novembre 2015 au 1er novembre 2017, a mis l’état de droit entre parenthèses, en s’acharnant sur de nombreux innocents

Qu’est-ce qui explique que l’état d’urgence s’applique encore aujourd’hui ?

Sihem Zine : La loi du 30 octobre 2017 sur la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme a transposé quatre articles de cet état censé être d’exception dans le droit commun : l’assignation à résidence, la perquisition administrative, la fermeture des lieux de culte et la mise en place de périmètres de protection. Certaines mesures ont été rendues plus contraignantes. C’est le cas de l’assignation à résidence, devenue « mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance », qui oblige la personne concernée à rester dans sa commune, ce qui peut l’empêcher de travailler ou de voir ses proches.

Concernant la fermeture des lieux de culte, le motif repose toujours sur des notions floues : les « propos qui sont tenus » et les « activités qui s’y déroulent », mais la mesure va encore plus loin en évoquant les « idées ou théories » au nom desquelles il existerait « des raisons sérieuses de penser » qu’un acte terroriste pourrait survenir.

S’agissant des perquisitions administratives, désignées dans la loi comme des « visites et saisies », le juge des libertés et de la détention doit en théorie intervenir, mais, dans les faits, il n’en a pas toujours les moyens. Surtout, les forces de l’ordre peuvent encore interroger durant plusieurs heures la personne dont le domicile est perquisitionné, et ce sans avocat. Dire que l’état d’urgence a pris fin est donc une pirouette juridique.

Hassina Mechaï : Pour décrire ce qu’elles ont vécu, la grande majorité des victimes de perquisitions ou d’assignations abusives parlent de traumatisme. Notre livre repose sur leurs témoignages, que nous avons pu recueil- lir grâce à une relation de confiance nouée dans le cadre du soutien juridique, social et psychologique proposé par l’ADM. En effet, l’image de ces personnes a souvent été utili- sée contre leur gré. C’est le cas d’un homme dont le visage a servi pour illustrer des articles sur le terrorisme en Corée et aux États-Unis. Son assignation à résidence a par la suite été levée, il a donc été innocenté. Mais les articles, eux, restent… En outre, certains ont toujours peur : ils craignent d’être reconnus et de subir une nouvelle enquête après chaque attentat. Ceux-là nous disent : « J’ai été assimilé à ce qu’il y a de pire dans ce monde. »

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